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Les idiots dans la clairière

Galerie Laroche/Joncas

« La prétendue intelligence que les gens s’enfoncent dans la tête comme un couteau ne donne qu’une image superficielle, et cette intelligence-là doit être détruite. L’idiotie doit être partagée, car en elle existent toutes les autres forces, comme une volonté sauvage, un sentiment vital devenu fou, et peut-être une tout autre connaissance. »

Joseph Beuys, in Beuys, Kounellis et Cucchi

Bâtissons une cathédrale


Faire l’idiot, c’est faire fi des choses que l’on connaît pour ne pas être contaminé par le consensus, mais c’est aussi prendre une posture contestataire face aux normes. Descartes joue à l’idiot lorsqu’il remet en doute toutes ses connaissances pour en arriver à sa seule certitude : « Je pense donc je suis ». Copernic fait aussi l’idiot lorsqu’il rejette la conception géocentrique de l’univers pour prouver que la Terre et les autres planètes tournent autour du Soleil. Vue de cette façon, l’idiotie a souvent été employée dans une recherche de vérité, mais j’aimerais plutôt l’appréhender comme une manière de créer, comme le geste de refuser la tyrannie du consensus. Anéantir les catégories pour découvrir des trésors singuliers et les animer.


Les idiots de mes œuvres sont des personnages qui s’inventent, qui se définissent eux-mêmes. Ils tournent le dos aux conventions et adoptent des comportements inédits. Ils ne cherchent pas la vérité comme l’on fait Descartes et Copernic. Ils prennent la liberté de devenir des mutants dont la transformation ressemble à un parcours déterminé par la seule intention de se perdre pour découvrir l’inconnu. De cette déambulation aléatoire résultent de nouvelles logiques intrinsèques qui, mises en lumière dans la clairière qu’est la galerie, commenceront à se connecter au monde commun pour en changer les règles.


Créer, c’est faire l’idiot en s’aventurant, la nuit, dans le chaos de la forêt sauvage. Présenter ses œuvres, c’est d’en sortir et s’exhiber flambant nu en plein milieu de la clairière pour proposer un jeu étrange dont les règles ne sont pas encore tout à fait définies. Mais faire l’idiot, c’est aussi pour moi une posture engagée face à la culture de masse qui confond œuvre et produit de consommation. La monoculture de ces objets de divertissement insipide dont l’obsolescence est programmée crée de l’érosion et appauvrit le sol. Pour employer les mots d’Hannah Arendt, ce sont des vents de sable chaud, ceux qui viennent installer le désert.


Mais la clairière est toujours verte. Et les idiots jouent à de drôles de jeux.

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